PROSTITUTION ET PROXÉNÉTISME

PROSTITUTION ET PROXÉNÉTISME
PROSTITUTION ET PROXÉNÉTISME

On confond généralement prostitution et débauche sexuelle, et l’on n’hésite guère à dire qu’une femme qui utilise ses charmes pour obtenir quelque avantage se prostitue. Or la prostitution est un phénomène social très particulier dont il importe de fixer exactement la nature. De nombreuses définitions en ont été données qui la présentent comme le commerce qui s’établit entre des personnes qui, moyennant un prix déterminé, s’offrent à servir de partenaires en vue de rapports sexuels et une clientèle prête à payer ce prix en échange de leurs services. Certaines mettent en évidence des éléments tels que l’habitude, la multiplicité des rapports sexuels, l’acceptation de n’importe quel client, mais toutes font état d’une «offre» et d’une «demande». En fait, il s’agit bien d’un commerce de nature spéciale dont des êtres humains sont la marchandise qui se vend et s’achète. Dès lors apparaissent les lois du profit qui lui confèrent sa véritable nocivité et tendent à sa continuelle expansion. La prostitution peut, à juste titre, être considérée comme un fléau social. Elle apporte, en effet, un trouble certain à la «morale» et à l’ordre public qui lui est lié, en créant une incitation constante à la débauche. Elle est, à la fois, une source de corruption et un facteur important de dissociation du groupe familial. Elle permet le financement de ce monde qui vit en marge de la loi et que l’on nomme le «milieu». Elle est aussi un vecteur important de contamination vénérienne. Mais, surtout, elle conduit les sujets qui s’y livrent de façon habituelle à une profonde déchéance physique et psychique en les exposant sans défense aux exigences incontrôlées de ceux qui les exploitent.

Le proxénétisme, qui consiste à favoriser le «commerce prostitutionnel» en l’organisant et en le développant, pour en augmenter les profits et les accaparer, en aggrave considérablement les effets. Dans toutes les sociétés humaines, depuis que ces dangers sont apparus, des efforts ont été tentés pour les conjurer. Ainsi s’engagea au cours des siècles une lutte qui continue aujourd’hui et qui, malgré les succès remportés, est loin d’avoir atteint ses objectifs.

1. Aperçu historique

Jusqu’au XXe siècle, l’évolution de la prostitution est marquée par des périodes de forte expansion suivies de mesures de prohibition et de répression généralement vouées à l’échec, ce qui amène les États à se résigner à une tolérance assortie d’une réglementation policière et sanitaire. Dans certaines sociétés primitives de l’Antiquité, la prostitution est liée à la notion d’hospitalité: les femmes de la maison sont offertes aux hôtes de passage. On rencontre cette coutume en Chaldée, en Inde, en Égypte et dans tout l’Orient. Très vite, la famille ou le clan trouva un intérêt dans cette pratique. Dans certaines contrées, les filles se constituaient ainsi une dot en prévision de leur mariage. À côté de cette prostitution hospitalière apparut bientôt une prostitution religieuse organisée par les prêtres de certaines divinités, et dont ils bénéficiaient. Devant l’ampleur prise par ces formes de prostitution, prenant conscience aussi de la source de profits qu’elles représentaient, les souverains de l’ancienne Asie organisèrent une prostitution légale en créant des établissements d’État destinés, à la fois, à protéger l’ordre public et à procurer des ressources fiscales. La loi de Moïse, en revanche, interdit la prostitution aux filles d’Israël mais tolère celle de femmes étrangères. En Grèce, Solon réglementa la prostitution qui était devenue envahissante: il fonda à Athènes et au Pirée des institutions d’État de basse classe, les dictérions , où il enferma les prostituées. Des fonctionnaires des Contributions, les pornotropoi , étaient chargés d’établir la taxe, de contrôler les prix et de surveiller ces établissements. Il y avait aussi en Grèce, à côté des prostituées classiques appelées pallaques , des filles dont le métier consistait à «charmer les hommes»: les hétaïres .

À Rome régnait une immense débauche. En 180 avant J.-C., pour tenter d’endiguer le désordre, Marcus décida la première «mise en carte» des prostituées. En fait, les mesures prises organisaient l’esclavage légal et définitif de la prostituée qui ne pouvait sortir de «quartiers réservés». Elle était porteuse d’une carte, la licencia stupri , et frappée jusqu’à sa mort d’indignité, d’infamie, de mort civile.

En revanche, la profession de proxénète était libre; il suffisait de demander la licence de tenancier pour l’obtenir. L’État entendait seulement interdire à la prostitution, envahissante mais jugée nécessaire, de pénétrer dans le domaine social et familial, dont la moralité devait être préservée. Sous l’Empire, la prostitution s’étala librement dans Rome, au grand profit des proxénètes.

Au début du Ve siècle, Théodose le Grand s’attaqua au proxénétisme, envoyant dans les mines les pères et les maîtres qui prostituaient leurs filles et leurs esclaves. Mais ce fut Justinien qui, en 521, mit en place un système nouveau de lutte contre la prostitution, interdisant les maisons de débauche et organisant la répression du proxénétisme. L’impératrice Théodora fit même aménager un asile pour tenter de réadapter les prostituées à une vie normale. Mais cette double expérience fut sans lendemain.

Dans le reste de l’Europe occidentale, les Barbares ne vivant pas comme les Romains dans de grandes villes, leur organisation sociale ne laissait pas de place à la prostitution. Ce n’est qu’assez tard que l’on trouvera, au bord de l’Atlantique, des bourdeaux (maisons de prostitution).

Après l’avènement du christianisme, l’Église interdisant toute relation sexuelle hors mariage, la prostitution fut déclarée illégale, la prostituée pourchassée comme pécheresse. À mesure que naissaient les agglomérations apparaissait cependant une prostitution due en grande partie à la misère. Depuis Charlemagne, l’interdiction de la prostitution et sa réglementation se sont succédé alternativement. L’interdiction fut toujours inspirée par des principes moraux et religieux qui légitimaient la mise hors la loi de la prostitution et le châtiment de celles qui s’y livraient: le fouet, la marque au fer rouge, les mutilations (nez et oreilles coupés), les expositions publiques infamantes furent couramment appliqués. En revanche, le client fut toujours singulièrement épargné et le proxénète bénéficia d’une indulgence scandaleuse. Saint Louis eut conscience de l’injustice de la répression. Lors de sa célèbre expérience prohibitionniste, il s’attaqua d’abord aux proxénètes en fermant les maisons de débauche et en les confisquant au profit de son trésor. Les prostituées furent invitées à cesser leur activité et renvoyées chez elles ou confiées à un établissement destiné à leur reclassement, le couvent des Filles-Dieu. Cette expérience fut un échec et, par ordonnance de 1254, Saint Louis autorisa la réouverture des maisons de débauche, faute d’avoir obtenu les résultats escomptés.

Vers la fin du XVe siècle, une réaction générale s’éleva contre la débauche. En France, un arrêt des États d’Orléans de 1560 supprima les bourdeaux et institua une répression contre les personnes atteintes de maladies vénériennes. Louis XIV prit ensuite des mesures très sévères contre la prostitution; à la fin de l’Ancien Régime, la prostitution s’étalait néanmoins jusqu’au cœur de Paris.

Au XIXe siècle, dans presque tous les pays, la prostitution est tenue pour un mal nécessaire et l’on s’efforce, mais en vain, de la contenir et de la contrôler. Au début du XXe siècle, des maisons de prostitution existent dans la plupart des pays et des milliers de femmes sont envoyées, souvent au-delà des mers, pour s’y prostituer. Ce trafic est appelé la « traite des blanches», en référence à celui des négriers d’antan.

Par la suite, des événements ont amené une véritable transformation dans les méthodes de lutte contre la prostitution et le proxénétisme: la naissance de l’entraide internationale en la matière, l’apparition de l’abolitionnisme, l’élévation du niveau de vie dans de nombreux pays, l’adoption des structures socialistes par certains États, et enfin l’emploi des antibiotiques pour soigner les maladies vénériennes.

2. Situation actuelle

Types de prostitution

La façon dont se pratique la prostitution varie avec les pays et souvent même à l’intérieur de ceux-ci. Les différences tiennent au niveau du développement économique, aux structures sociales et politiques, à la législation en vigueur, à la mentalité et aux usages locaux. Sous cette diversité plus apparente que réelle, les mêmes procédés sont cependant employés et permettent de distinguer trois modes principaux d’exercice de la prostitution: la prostitution «extérieure», qui recherche ses clients dans la rue ou les lieux ouverts au public; la prostitution en «établissements», qui se pratique à l’intérieur de maisons destinées à cet usage; la prostitution «sur rendez-vous», qui s’exerce avec le concours d’entremetteurs.

La prostitution extérieure

La recherche des clients peut se faire soit sur la voie publique, soit dans les parcs et jardins des villes, soit dans les cafés, bars, restaurants, dancings ouverts au public. Cette prostitution existe pratiquement dans tous les pays qui n’ont pas totalement éliminé le commerce prostitutionnel. Le client, racolé de façon plus ou moins discrète, est amené soit dans un hôtel, soit au domicile de la prostituée. Un certain nombre de prostituées utilisent une voiture pour racoler leurs clients (c’est ce que l’on appelle en France «opérer en amazone»); d’autres utilisent l’auto-stop sur les routes (en Allemagne fédérale, des rapports ont fait état d’une «prostitution des autoroutes»).

En général, la prostitution dite extérieure se retrouve toujours dans les mêmes quartiers, et ses tarifs varient selon la clientèle. Si elle s’adresse à une clientèle pauvre, elle est installée dans les quartiers sordides et les bouges, si elle recherche une clientèle moins démunie, elle gravite dans ceux où se tiennent les «établissements de plaisir». Dans certaines villes existent des quartiers «réservés» à la prostitution. Il faut assimiler à la prostitution «extérieure» celle à laquelle se livrent des femmes fréquentant des bars ou des boîtes de nuit, ou y exerçant un métier (entraîneuse, barmaid, taxi-girl, hôtesse). Elles rencontrent là des clients qu’elles emmènent ensuite ailleurs. Ce mode de prostitution est très largement utilisé partout où existent des établissements de ce genre.

La prostitution en établissements

La prostitution s’exerce parfois entièrement dans des établissements dont l’exploitation est organisée pour lui donner asile et en tirer des bénéfices. Dans quelques pays comme la Tunisie, le Pérou, le Venezuela, une telle pratique est légale. Les tenanciers sont habilités à recevoir et à loger chez eux des prostituées qu’ils doivent soumettre au contrôle de la police et à des examens médicaux périodiques. Il leur est possible en retour d’organiser des rencontres entre ces femmes et leur clientèle, et de percevoir une partie des gains qu’elles réalisent. Dans d’autres pays, les «maisons de débauche», interdites par les législations en vigueur, bénéficient d’autorisations officieuses, ou encore survivent dans la clandestinité ou sous le couvert d’une certaine tolérance.

Ces établissements, autorisés ou non, fonctionnent de la même façon. Ils ne se distinguent les uns des autres que par la clientèle qu’ils reçoivent, les tarifs qui y sont pratiqués, le confort ou la misère que l’on y trouve. La clientèle disposant de moyens financiers suffisants est en général reçue dans des locaux où lui sont proposées des boissons, où l’on peut danser et se livrer au jeu. Quand il s’agit de satisfaire une clientèle pauvre et nombreuse, toute trace de confort disparaît, seul subsiste le minimum nécessaire afin qu’un certain nombre de prostituées reçoivent, à longueur de journée, un flot ininterrompu d’hommes (jusqu’à 80 clients et plus par jour et par femme), qu’elles doivent satisfaire en de courtes rencontres, pour une rétribution dérisoire. Ce sont là les «maisons d’abattage» qui subsistent encore sous des formes diverses, vastes édifices ou conglomérat d’habitations sordides, dans les faubourgs déshérités des villes où la misère sévit de façon endémique. À côté de ces établissements existent, en particulier là où la clandestinité est nécessaire, des petits hôtels, des auberges, des cafés discrets, où se pratique une prostitution à échelle réduite à laquelle participent des femmes pensionnaires ou les serveuses, c’est le système dit des «serveuses montantes» utilisé dans certaines provinces françaises, en particulier dans le Nord, et en Belgique. Il est enfin nécessaire de faire état d’une catégorie particulière de maisons spécialisées, les Eros centers , qui ont été autorisées à fonctionner dans certaines grandes villes d’Allemagne fédérale à partir des années 1960 (Hambourg, Stuttgart, Cologne, Düsseldorf). Des prostituées, soumises à un certain contrôle, peuvent y recevoir, dans des chambres confortables, louées par elles, des clients qu’elles rencontrent dans des «cours de contact». La direction ne peut percevoir d’autre rétribution que le prix des chambres, et la vente d’alcool est interdite. L’expérience n’a pas été étendue à d’autres villes allemandes ni à d’autres pays, les objectifs recherchés, élimination de la prostitution dans la rue et protection contre les proxénètes, n’ayant pas été atteints.

La prostitution sur rendez-vous

La prostitution de luxe, destinée à une clientèle riche, soucieuse de confort, de sécurité et de discrétion, se fait sur rendez-vous. Le client s’adresse à un intermédiaire qui le met en rapport avec une prostituée. L’intermédiaire peut être une personne seule, le plus souvent une femme qui joue le rôle d’entremetteuse, ou une organisation plus complexe disposant d’un réseau de filles qui peuvent être convoquées par téléphone, c’est le système dit de call-girls , largement pratiqué aux États-Unis. Les tarifs sont élevés et partagés par moitié entre la prostituée et l’intermédiaire.

L’homosexualité

On ne peut passer sous silence l’existence d’une prostitution homosexuelle, peu répandue dans les pays latins, mais relativement importante dans les pays nordiques et anglo-saxons. Elle est pratiquée par des invertis ou des hétérosexuels vivant d’expédients. Elle n’est, pour le moment, pas organisée. Il s’agit d’une prostitution de «rencontre» dont les partenaires se retrouvent dans des lieux fréquentés par eux. Il faut en outre tenir compte d’une prostitution homosexuelle organisée dont la croissance a été constatée à partir des années 1970 dans certains pays d’Extrême-Orient où de jeunes garçons, provenant des milieux les plus déshérités, sont livrés sous le contrôle de proxénètes à une clientèle de pédophiles venue parfois de très loin.

Formes de proxénétisme

Dans l’immense circuit commercial de la prostitution, dont le chiffre d’affaires est considérable, le proxénète intervient très activement, comme recruteur et comme organisateur, afin de prélever la plus large part sur les bénéfices.

Le proxénète le plus proche de la prostituée est le souteneur . Il exerce une action directe sur elle, la recrute et maintient une pression constante pour l’inciter à une activité «soutenue». Il la défend contre les entreprises de ses concurrentes, la met en relation avec des tenanciers d’établissements et lui impose de se plier aux usages du milieu auquel il appartient. Il utilise, pour parvenir à ses fins, la séduction, le dol et, s’il le faut, la menace et les violences, qui peuvent, dans certains cas, aller jusqu’à la torture et au meurtre. La victime est contrainte, dans la majorité des cas, à remettre ses gains, directement ou par personne interposée, au souteneur dont elle dépend. Plus rarement, elle doit s’acquitter d’une somme forfaitaire, toujours très élevée, chaque semaine ou chaque quinzaine. Presque toutes les prostituées professionnelles ont un souteneur. Environ 80 p. 100 de celles qui se livrent à la prostitution extérieure en sont pourvues. La proportion est moins forte quand elles opèrent à domicile ou clandestinement. Les femmes qui travaillent pour des entremetteurs ou pour des réseaux de call-girls sont presque toujours sans souteneur, mais il leur arrive d’être l’objet de chantages et de «mises à l’amende» par certains d’entre eux. En revanche, la quasi-totalité des femmes qui se prostituent en établissement ont, contrairement à ce que l’on croit communément et à ce que prétendent les proxénètes, un souteneur. Les tenanciers n’engagent en fait que des filles pourvues d’un «protecteur». Celui-ci est, en effet, le plus sûr garant du bon rendement, de la soumission et de la discrétion de celles qu’il place, et il peut compter en retour sur le tenancier pour surveiller les intéressées et lui faire parvenir leurs gains. Enfin le souteneur est un recruteur obligatoire quand il s’agit d’un placement en «maison close»: bien peu de femmes acceptent de bon gré la claustration et les servitudes qui y sont imposées. Le rôle des tenanciers est indispensable dans l’exercice de la prostitution en établissement et très important dans la prostitution extérieure. Certains monnayent directement ce service par un partage des bénéfices, d’autres se contentent des recettes supplémentaires apportées par l’augmentation de la clientèle due à la présence de prostituées dans leurs locaux. Les intermédiaires se divisent en deux catégories: les «entremetteurs» et les «rabatteurs» (portiers, grooms, chauffeurs) chargés de diriger les clients vers les établissements où l’on trouve des prostituées.

3. La personnalité des partenaires

Les clients

Si de nombreux hommes ont eu des rapports sexuels avec des prostituées (d’après Kinsey, 60 p. 100 de la population masculine blanche des États-Unis), pour la plupart d’entre eux, ces rapports ont été très rares et souvent uniques. Il faut donc distinguer deux catégories de clients: les «occasionnels» et les «habituels». Parmi les habituels, un certain nombre d’individus se signalent par des exigences sexuelles insolites et préfèrent s’adresser à des prostituées qui acceptent de les satisfaire. Presque tous les autres sont apparemment normaux mais n’ont atteint ni leur maturité sexuelle ni leur maturité affective: jeunes hommes ou êtres frustes demeurés aux stades instinctifs de la sexualité. À côté d’eux, on trouve pourtant des sujets beaucoup plus évolués pour lesquels le recours à la prostitution est un moyen commode de se procurer des rapports sexuels extra-conjugaux: pas de perte de temps (la prostituée est toujours disponible), et surtout absence d’engagement, le rapport prostitutionnel ne créant aucun lien entre les partenaires.

Il faut noter aussi, dans la clientèle habituelle de la prostitution, la présence de nombreux truands. L’homme du milieu retrouve dans le couple qu’il forme avec la prostituée un sentiment de supériorité qui lui manque par ailleurs. Les occasionnels sont en général des hommes qui, soit se sont laissés entraîner exceptionnellement, soit utilisent la prostitution comme une solution provisoire pour «remplacer» l’entourage familial dont ils sont privés par des circonstances diverses (foyer détruit, éloignement temporaire, etc.).

Les prostituées

Des travaux scientifiques récents démontrent qu’il n’existe pas de caractéristiques physiques propres à la prostituée. On a constaté, en revanche, que celle-ci a connu, la plupart du temps, des expériences sexuelles qui ne lui ont laissé que déception et qu’elle a souffert de frustrations graves dans les premières phases de son développement affectif. La prostituée est d’abord une «mal aimée».

Les causes extérieures à sa personne jouent un rôle très important dans son destin. L’inexistence ou la dissociation du milieu familial (mésententes entre les parents, incapacité à tenir leur rôle au foyer) favorise peu les études et la formation professionnelle, mais elle entraîne surtout de graves carences éducatives qui rendent le sujet particulièrement vulnérable. Le niveau de vie, la richesse ou la misère qui règnent dans un pays, ses structures économiques, la situation de l’emploi sont, de plus, autant de facteurs qui jouent dans le développement ou la régression de la prostitution. De même, le mode de vie, les usages, les conceptions morales et religieuses qui y ont cours ont aussi une influence. L’expérience montre cependant que, les éléments les plus défavorables étant réunis, une femme ne devient pas forcément une prostituée. Il faut qu’interviennent d’autres circonstances: d’abord une rupture avec son milieu habituel de vie conduisant à un état d’abandon; puis la rencontre, dans sa détresse, d’une prostituée secourable ou d’un proxénète à l’affût (sollicitée, encouragée ou contrainte, elle sera entraînée vers la prostitution).

Les proxénètes

L’esprit de lucre, le désir de se procurer de l’argent sans effort peuvent amener un individu au proxénétisme. Il est fréquent aussi de retrouver dans l’enfance et l’adolescence d’un homme devenu souteneur des carences affectives et éducatives analogues à celles que l’on constate chez les prostituées. Les souteneurs sont généralement des inadaptés: leur instabilité, leur paresse, leur absence de volonté les écartent de tout emploi régulier leur apportant la sécurité. Leur immaturité et leur inconséquence ne leur permettent guère de prétendre à des liens affectifs valables et durables. La prostituée, par les ressources qu’elle leur assure et, parfois, par l’affection qu’elle leur témoigne, leur donne une «adaptation de remplacement». Ainsi se forme le couple souteneur-prostituée, où s’épanouissent les tendances sadiques et agressives du partenaire masculin en présence de la soumission masochiste de sa compagne. À l’origine de la carrière d’un souteneur, des circonstances extérieures (liaison avec une prostituée ou fréquentation de proxénètes) jouent un rôle déterminant. Parmi les autres proxénètes, et surtout chez les tenanciers, commerçants sans scrupules, souvent anciens souteneurs ou prostituées, l’intérêt se substitue à tout autre mobile.

4. Législations et formes de lutte

On classe en trois groupes les législations en vigueur dans les différents pays du monde qui luttent contre la prostitution et le proxénétisme, selon le système dont elles adoptent les solutions: prohibitionniste , réglementariste , abolitionniste .

Système prohibitionniste

Le système prohibitionniste consiste à interdire la prostitution et à exercer une répression contre les personnes qui s’y livrent, l’organisent ou l’exploitent. De nombreux pays ont adopté cette manière de faire. Parmi eux, il y a des pays où le niveau de vie est très élevé, comme les États nordiques de l’Europe (Suède, Norvège, Danemark), les États-Unis (Nevada, Arizona, Oregon exceptés), puis tous les pays qui connurent une structure communiste (sauf l’Albanie), enfin certains pays du Tiers Monde comme le Pakistan.

Des succès ont été remportés dans la mesure où la prohibition est intervenue dans un contexte éliminant les causes essentielles de la prostitution. L’élimination de la misère et la grande liberté des mœurs ont permis aux États nordiques de maintenir la prostitution à un volume assez faible. Les mêmes conditions ont joué un rôle identique dans les États prohibitionnistes des États-Unis. Pourtant, depuis les années soixante, la prostitution paraît y progresser de façon inquiétante: la misère et le chômage subsistent dans les grands centres, la prostitution traditionnelle demeurée clandestine est très organisée; une nouvelle prostitution est pratiquée par des femmes qui veulent se procurer de l’argent à tout prix pour acheter de la drogue. Un proxénétisme «sauvage» est apparu hors du «milieu» habituel, en particulier dans certains milieux noirs où le souteneur a pu passer un temps comme un héros en lutte contre la société blanche.

Les pays communistes obtinrent, au contraire, des résultats d’autant plus spectaculaires que la prostitution y sévissait antérieurement à l’état endémique. Un système économique qui supprimait toute forme de commerce ayant pour but la recherche du profit individuel et une forme de société qui prenait en charge l’individu pour le travail comme pour les loisirs ne laissaient guère de place pour un marché de la prostitution. Seul l’État aurait pu l’organiser; or, celui-ci s’y opposait en raison même des principes marxistes. De plus, il disposait de moyens de coercition et de rééducation parfaitement efficaces. Une prostitution clandestine s’adressant surtout aux étrangers y subsista pourtant.

Système réglementariste

Le système réglementariste tolère la prostitution comme un «mal nécessaire», mais estime qu’il faut, pour éviter les excès, la contrôler et en réglementer l’exercice. Les méthodes utilisées consistent d’abord à isoler la prostitution: on autorise le fonctionnement d’établissements de débauche où elle doit s’enfermer et on désigne des quartiers dont elle ne doit pas franchir les limites. Dans le même temps, pour permettre l’identification des personnes soumises à une surveillance sanitaire et policière, on leur impose d’être inscrites sur des registres de police et de justifier de la régularité de leur situation par une carte. Le réglementarisme n’est jamais parvenu à atteindre ses objectifs. L’expérience démontre que le fonctionnement des maisons de tolérance ne réussit pas à éliminer la prostitution de la rue. Les mesures de surveillance imposées aux prostituées rendent leur reclassement impossible et les empêchent de se soustraire à l’emprise de leurs souteneurs.

Les visites médicales périodiques, impuissantes à assurer une protection utile contre les maladies vénériennes, donnent aux clients une fausse sécurité. Le scandale qui résulte de l’autorisation donnée à quelques centaines de tenanciers d’exploiter un commerce illicite et dangereux confère un monopole dont on ne trouve l’équivalent nulle part. Ce sont les raisons qui ont amené presque tous les États à interdire les maisons de prostitution sur leur territoire sans parvenir toujours à les éliminer totalement.

Système abolitionniste

Le système abolitionniste a été une réaction contre la réglementation, qui contribuait à laisser la prostituée à la merci des proxénètes et à la maintenir dans une situation comparable à celle de l’esclavage. Les abolitionnistes entendent agir sur les causes sociales et économiques de la prostitution et s’attaquent par priorité aux proxénètes. À la fin du XIXe siècle, ce mouvement prit naissance en Angleterre où, en 1875, fut fondée la Fédération abolitionniste internationale qui groupa plusieurs pays d’Europe occidentale. Ces efforts aboutirent à la convention internationale pour la «répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui», adoptée le 2 décembre 1949 par l’Assemblée générale des Nations unies. Les États signataires de cette convention s’engagent à interdire le fonctionnement de tout établissement de prostitution, à instaurer une législation punissant tout mode d’exploitation de la prostitution d’autrui, même si la personne exploitée est majeure et consentante. Viennent ensuite des mesures destinées à la libération et au reclassement des prostituées: suppression de toutes mesures créant une ségrégation à leur égard et création d’organismes médico-sociaux destinés à faciliter leur réinsertion sociale. La France s’est dotée d’une législation inspirée des principes abolitionnistes par la loi du 13 avril 1946 et par les ordonnances des 23 décembre 1958 et 25 novembre 1960. On peut citer parmi les États abolitionnistes: l’Italie, l’Espagne, le Luxembourg, l’Allemagne (sous la réserve des Eros centers ), les Pays-Bas, l’Argentine, le Chili, et de nombreux États du Tiers Monde. On accuse souvent, à tort, ce système de manquer d’efficacité; il a cependant permis des progrès. S’attaquer aux causes profondes de la prostitution ne peut donner de résultats qu’à long terme. Quant aux insuffisances de la lutte contre le proxénétisme, elles sont dues, en général, à la faiblesse de la répression et au maintien de pratiques héritées du réglementarisme.

Reclassement des prostituées

Même s’il y a quelque naïveté à le penser, le développement des techniques de rééducation et la prise de conscience des devoirs de la société envers les plus défavorisés des siens permettent aujourd’hui, mieux que par le passé, de tenter de résoudre le problème. Les pays communistes imposèrent aux prostituées une rééducation forcée. Dans les démocraties occidentales, la «liberté» qui permet à une fille de s’écarter de la voie normale ne rend son retour possible que si elle le désire. Même dans ce cas, il est nécessaire qu’une assistance lui soit apportée. Des œuvres privées et des organismes publics ont été créés à cet effet. Les prostituées majeures s’y présentent d’elles-mêmes ou sur les conseils de services sociaux, les mineures peuvent leur être confiées par décision judiciaire.

Si la situation s’est modifiée du tout au tout dans les pays anciennement communistes, d’importantes transformations se sont également produites ailleurs: la prostitution professionnelle a connu une régression partout où s’est élevé notablement le niveau de vie. Une plus grande liberté dans les relations entre jeunes, qui leur rend superflu le recours à la prostitution, et la répression accrue du proxénétisme ont accentué cette régression. La prostitution occasionnelle s’est, en revanche, développée en raison du relâchement des structures familiales et sociales, des tentations dues à l’abondance des biens offerts à la consommation et de l’apparition d’un important vagabondage chez les jeunes dont certains se prostituent pour se procurer des stupéfiants. Le proxénétisme traditionnel, pour survivre, prend des formes nouvelles qui se rapprochent du racket. Par ailleurs, il tend à devenir un des éléments d’un trafic plus vaste consistant à exploiter des chaînes d’établissements «de plaisir» où l’on vend «de la femme» au même titre que de l’alcool, de la drogue, des publications ou du matériel pornographiques et où l’on pratique le jeu. De telles entreprises, appelées à prendre une place importante dans la vie de la cité, constituent un très grave danger car elles sont à l’origine d’une «criminalité organisée» d’un type nouveau. La lutte contre la prostitution et le proxénétisme se présente donc comme un devoir social et elle est nécessaire pour combattre la délinquance et le crime.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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